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Tomikichiro Tokuriki (1902-1999) est le chef de file des artistes de l’estampe japonaise de Kyoto au 20ème siècle. Il incarne la rupture entre le style de Tokyo et le style de Kyoto.

Kyoto, ancienne ville impériale, se considère comme la dépositaire de la culture et de la tradition japonaise. Aux yeux des artistes de l’estampe de Kyoto, Tokyo est une ville de nouveaux riches où s’est épanouie une culture commerciale, celle de l’Ukiyo-e. Cet état d’esprit peut expliquer la façon dont les artistes de Kyoto s’impliquent de manière plus indépendante dans leur création. A Kyoto, les artistes sont en demande d’accomplissement technique et ont moins laissé aux éditeurs une marge de manœuvre totale comme à Tokyo.

Sites célèbres - Sanctuaire de Kameyama Editeur Uchida

Tokuriki - Estampe du courant Shin-hanga - Sanctuaire de Kameyama - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida


Certains historiens d’art suggèrent aussi que l’estampe de Kyoto est d’un style plus proche de la peinture que l’estampe de Tokyo qu’elle soit Ukiyo-e ou Shin-hanga. Par peinture, on entend peinture à l’encre. Il est vrai que dans les estampes que dessinent les artistes de Kyoto, on « perçoit » plus qu’à Tokyo le souvenir du trait de pinceau chargé d’encre.
Si on demande à Tokuriki pourquoi les artistes de Kyoto persistent dans une approche traditionnelle, Tokuriki répond que les artistes de l’estampe Shin-Hanga de Tokyo ont été formé avec des peintres qui ont étudié le dessin de style occidental et souvent la peinture à l’huile. Par contre, ceux de Kyoto ont appris avec des maitres de la peinture à l’encre dite « sumi-e » (sumi=encre, e=image).
Pour lui, l’artiste « qui passe de l’huile au bois » est dans la révolte et à la recherche d’un nouveau mode d’expression. S’oppose à lui l’artiste qui vient de la peinture traditionnelle  et qui fera donc une transition en douceur vers une ligne artistique compatible avec le style auquel il a été formé.

Tomikichiro Tokuriki est le chef de file des artistes de l’estampe de Kyoto au 20ème siècle.

Tomikichiro Tokuriki est le dernier d’une longue lignée de peintres que l’on peut remonter jusqu’à la fin du 16ème siècle. Il fait 9 ans d’études d’art appliqué à Kyoto. Pendant ses études, il découvre le mouvement Sosaku-Hanga.

Le Sosaku-Hanga est un mouvement né à Tokyo en 1904. Le nom utilisé à partir de 1909 signifie « l’estampe créative ».

Les artistes gravent le support  (bois le plus souvent mais aussi métal). Ils  préparent leur papier et leurs couleurs et impriment leurs estampes. Ils en assurent également la vente.

Tokuriki - Estampe du courant Sosaku-hanga - Pluie d'automne

Tokuriki - Estampe du courant Sosaku-hanga - Pluie d'automne - édition limitée et signée

Ce mouvement né à Tokyo est connu à Kyoto vers 1920. Un peu plus tard, des artistes s’installent à Kyoto, après avoir perdu matériels et productions dans le gigantesque incendie qui a suivi le tremblement de terre de 1923.

Pour maitriser la gravure et l’impression, Tomikichiro Tokuriki s’exerce avec un imprimeur âgé qui avait travaillé pour Hiroshige III dans sa jeunesse et un graveur expérimenté.

Tokuriki - Estampe Shin-hanga - 36 vues du mont Fuji - Le Fuji vu des chutes de Shiroito 1940

Mais le Sosaku-Hanga aux lignes plus libres et plus modernes est apprécié plutôt par les connaisseurs que par le grand public, surtout en occident. Tokuriki débute alors une production d’estampes Shin-Hanga qui va enflammer amateurs et collectionneurs et faire son succès. Pourtant il n’abandonnera jamais le Sosaku-hanga.

Toute sa vie, il organise sa création  autour de 2 productions d’estampes : des estampes Shin-hanga pour assurer ses revenus, des estampes Sosaku-Hanga pour se réaliser en tant qu’artiste.
Les estampes Shin-Hanga qu’il dessine sont commercialisées par les plus grands éditeurs de Kyoto, Unsodo et Uchida. Celles-ci se distinguent par un dessin ferme dans la tradition du paysage japonais et des couleurs proches de la gamme du pastel. Ce sont celles qui font son succès et lui assurent des moyens d’existence.

Le LACMA, Los Angeles County Museum of Art expose, entre autres musées, des estampes Sosaku-hanga de Tokuriki.

Tokuriki Femme peignant ses cheveux Estampe Sosaku-Hanga LACMA

Tokuriki - Femme peignant ses cheveux - Estampe du courant Sosaku-Hanga LACMA

Comme beaucoup d’artistes de l’estampe, il a dessiné des séries :

  • 36 vues du Mont Fuji
  • « Seichi shiseki meisho » Lieux sacrés, historiques ou célèbres (50 estampes)(2 éditions : 1941 et 1950)
  • « Kyoto Hakkei »  8 vues de Kyoto
  • « Kyoraku Sanju Dai » 30 vues de Kyoto
  • 12 mois à Kyoto
  • 8 vues du Japon
  • « Hanga Kyoraku Niju-Kei »  20 vues de Kyoto
  • « Kyoraku Jyugo-Kei »  15 vues de Kyoto

Deux ouvrages qui parlent de Tomikichiro Tokuriki :

* Helen Merritt and Nanako Yamada, « Guide to Modern Japanese Woodblock Prints: 1900-1975 », publié par University of Hawaii Press, Honolulu, ISBN 0-8248-1732-X

* Oliver Statler, « Modern Japanese Prints: An Art Reborn », C. Tuttle, Tokyo, 1956, ISBN No. is 0-8048-0406-0

Certaines des estampes illustrant cet article sont en vente sur le site www.artmemo.fr sur la page artistes de Kyoto

Hokusai et les 36 vues du Mont Fuji : 46 paysages tout en bleu…

Hokusai a entrepris dans sa 70ème année cette célèbre série qui représente le Mont vu depuis toutes les provinces qui l’entourent.
Il s’agit d’une innovation artistique et une prise de risque pour l’éditeur car à cette époque rares sont les estampes dont le sujet unique est la description d’un paysage.

Hokusai 36 vues du mont Fuji – La riviere Tamagawa

Mais à cette époque, les débuts du tourisme moderne orienté, vers la contemplation de sites célèbres, vont entrainer le développement de l’estampe de paysage. Le succès de cette série est tel que le nombre de 36 vues prévu initialement est dépassé et 46 estampes sont éditées entre 1830 et 1832 ou 1833 (on ne sait pas exactement).
C’est en fait entre 1830 et 1835 qu’ Hokusai dessine les plus beaux paysages de son œuvre en 3 séries : les 36 vues, les Cascades, les Ponts remarquables du Japon. Ces séries d’estampes ont 3 points communs :
– elles révèlent la maîtrise du paysage chez l’artiste,
– elles sont le résultat de ses pérégrinations à travers le japon,
– elles utilisent très largement le bleu de Prusse.

Hokusai 36 vues du mont Fuji – Vue des magasins Mitsui de Surugacho à Edo

Le bleu de Prusse ou bleu de Berlin est connu au Japon depuis la 2ème moitié du 18ème siècle grâce aux marchands chinois et hollandais présents à Nagasaki, le reste du Japon leur étant fermé.
Il fut activement importé à partir de 1829 déclenchant une utilisation sans précédent dans l’estampe Ukiyo-e. Le trait de contour des 36 premières estampes de la série du Mont Fuji est imprimé avec du bleu de Prusse au lieu du noir de l’encre de Chine.
D’origine européenne, l’utilisation du bleu de Prusse constitue un tournant majeur dans l’esthétique de l’estampe japonaise.

LE CHEF DE  FILE DE L’ESTAMPE JAPONAISE DE KYOTO

Tomikichiro Tokuriki est le dernier d’une longue lignée d’artistes que l’on peut remonter jusqu’à l’ère Keicho (1596-1615). Il a dit : « Le destin a fait de moi un artiste mais je me suis fait moi-même artiste de l’estampe « .
Tous ses ancêtres ont été peintres depuis le premier Tokuriki, élève de Sansetsu Kano , le fondateur de l’école Kano. « Dans cette longue lignée  » dit Tokuriki, « Je suis le premier artiste de l’estampe ».
Mais il pense que son intérêt pour l’estampe vient de son grand-père qui a dessiné 72 estampes de fleurs sans atteindre le succès. « Quand j’étais enfant, j’adorais les regarder, elles furent ma première initiation à l’estampe ». Son grand-père fut ainsi son premier professeur.
Sanctuaire de Kawakami - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Sanctuaire de Kawakami - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Etudes longues d’art appliqué et découverte de l’estampe Sosaku-hanga

Tomikichiro Tokuriki fait ses études d’art appliqué  à Kyoto. Il suit un cycle long de 9 ans dans différentes écoles.  Il sort diplômé du Collège d’art de Kyoto en 1923.

Pendant le temps de ses études, il découvre le mouvement Sosaku-Hanga où l’artiste dessine, grave et imprime ses estampes lui-même. Cette découverte n’est pas liée à la nature de ses études mais au développement de ce mouvement né à Tokyo.Il commence à s’intéresser à ce mouvement quand un certain nombre de d’éditeurs et d’artisans s’installent à Kyoto. Ceux-ci fuient Tokyo détruite en grande partie par l’incendie qui a suivi le tremblement de terre de 1923.

Kyoto et la gravure sur bois

A ce moment-là comme il le dit lui-même « l’art de la gravure sur bois est rentré à la maison. »
En effet, les premières gravures sur bois ont été faites à Kyoto et à Nara. Cette technique avait été introduite à partir de la Chine au 8ème siècle par les moines bouddhistes. Ils s’en servaient pour imprimer les textes sacrés du bouddhisme. Elle était encore utilisée à Kyoto pour cet usage au début du 20ème siècle. L’autre application de la gravure sur bois à Kyoto était purement commerciale comme l’impression de papiers d’emballage.

Tokyo, par contre, était la ville où l’art de l’estampe figurative s’était développé.

Lac Biwa - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Lac Biwa - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

De bonnes pratique et de bonnes rencontres

Pour Tomikichiro Tokuriki, l’arrivée de ces émigrants de Tokyo a été le déclencheur de son orientation artistique. Il apprends la gravure et l’impression des estampes. « J’ai trouvé un vieil imprimeur charmant qui avait travaillé dans l’Ukiyo-e. Il avait été imprimeur pour Hiroshige III dans sa jeunesse ». Il s’exerce aussi avec un graveur chevronné.

Cette formation avec des artisans lui inspire tout de suite les bonnes pratiques. Il va chercher ses encres à Nara, capitale de la peinture à l’encre. Dans les ateliers où sont fabriqués les blocs d’encre solide, il achète des copeaux qui proviennent de la taille des blocs à leur sortie du moule. C’est un moyen très bon marché de se procurer les meilleures encres produites au japon. Il imprime aussi sur du papier hosho qui vient d’Echizen, le papier idéal pour l’estampe japonaise.

L’artiste Unichi Hiratsuka, un des pères du Sosaku-hanga vient alors à Kyoto donner un cours pour faire connaitre la doctrine de ce mouvement. Tokuriki se rapproche de lui. Cette relation lui sert d’introduction auprès des artistes de Tokyo.

Un peu plus tard, Il rejoint la Hanga Association et rencontre d’autres artistes du Sosaku-hanga comme  Masao Maeda, Kihachiro Shimozawa, Hide Kawanishi et Shiko Munakata. Il participe alors comme rédacteur à la revue Han.

Le grand Bouddha de Kamakura -Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Le grand Bouddha de Kamakura -Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Passion du Sosaku-hanga contre succès du shin-Hanga

Il dessine donc, grave et imprime ses estampes selon les préceptes du mouvement Sosaku-Hanga.  Mais ce style de production aux lignes plus libres et plus modernes que le Shin-hanga est apprécié plutôt par les connaisseurs que par le grand public, surtout en occident. Tokuriki débute alors une production d’estampes Shin-Hanga qui va enflammer amateurs et  collectionneurs et faire son succès. Pourtant il n’abandonnera jamais le Sosaku-hanga.

Tokuriki Tomikichiro - Estampe Sosaku-hanga - Gravée et imprimée par l'artiste, édition limitée et signée , Pluie d'automne, 1977

Tokuriki Tomikichiro a ainsi deux productions distinctes :

Des estampes sosaku-hanga qu’il dessine, grave et imprime avec passion :

Après la deuxième guerre, il crée Matsukyu, sa propre maison d’édition. Cette partie de sa création un moyen de conserver son intégrité d’artiste et une façon de continuer la lutte pour revitaliser l’art de l’estampe à Kyoto.
Le LACMA, Los Angeles County Museum of Art, entre autres musées, possède des estampes Sosaku-hanga de Tokuriki.

Des estampes Shin-hanga dont il ne réalise que le dessin :

Un graveur et un imprimeur s’occupent de la production, un éditeur les commercialise. Celles-ci se distinguent par un dessin ferme dans la tradition du paysage japonais et des couleurs proches de la gamme du pastel.

Il est publié par les éditeurs les plus célèbres de Kyoto : Uchida et Unsodo. Ce sont celles qui ont fait son succès et lui assurent des moyens d’existence.

Chutes de Manai - Série des lieux sacrés et historiques célèbres

Chutes de Manai - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Il collectionne et voyage…

Il a été aussi un grand collectionneur d’estampes Ukiyo-e et a beaucoup voyagé aux USA et en Europe. Dans les années soixante, il expose dans de grandes villes américaines comme Chicago, New York, Pittsburgh ou Cleveland.

…mais aussi sert du thé et enseigne son art.

Tokuriki Tomikichiro a passé une grande partie de sa vie à Kyoto dans une maison âgée de 200 ans, entourée d’un grand jardin planté de cerisiers et située près du Palais impérial. Pour s’assurer un revenu stable, il ouvre un salon de  thé dans une petite boutique en face de sa propriété. Il y a aussi installé son atelier, lieu de travail et d’enseignement. Ses étudiants viennent du Japon et de l’étranger. David Stones, par exemple, a quitté la Grande-Bretagne en 1971 pour étudier avec lui et s’installer au Japon.

Pont de Kintai Lieux sacrés et historiques célèbres

Pont de Kintai - Série des lieux sacrés, historiques ou célèbres - Editeur Uchida

Tomikichiro Tokuriki a regretté parfois d’avoir été plus apprécié pour son travail dans l’estampe Shin-hanga nécessitant la collaboration du trio graveur, imprimeur, éditeur. Les estampes Sosaku-hanga qu’il a réalisées seul ont été moins bien comprises par le public. Pourtant elles sont empreintes d’une énergie plus saisissante . Par son travail dans cette voie, il incarne la rupture entre Tokyo et Kyoto dans l’art de l’estampe. (voir article à ce sujet)

Comme beaucoup d’artistes de l’estampe, il a dessiné des séries :

  • 36 vues du Mont Fuji
  • « Seichi shiseki meisho » Lieux sacrés, historiques ou célèbres (50 estampes)(2 éditions : 1941 et 1950)
  • « Kyoto Hakkei »  8 vues de Kyoto
  • « Kyoraku Sanju Dai » 30 vues de Kyoto
  • 12 mois à Kyoto
  • 8 vues du Japon
  • « Hanga Kyoraku Niju-Kei »  20 vues de Kyoto
  • « Kyoraku Jyugo-Kei »  15 vues de Kyoto

Deux ouvrages qui parlent de Tomikichiro Tokuriki :

* Helen Merritt and Nanako Yamada, « Guide to Modern Japanese Woodblock Prints: 1900-1975 », publié par University of Hawaii Press, Honolulu, ISBN 0-8248-1732-X

* Oliver Statler, « Modern Japanese Prints: An Art Reborn », C. Tuttle, Tokyo, 1956, ISBN No. is 0-8048-0406-0

Certaines des estampes illustrant cet article sont en vente sur le site www.artmemo.fr sur la page artistes de Kyoto