LE CHEF DE FILE DE L’ESTAMPE JAPONAISE DE KYOTO
Tomikichiro Tokuriki est le dernier d’une longue lignée d’artistes que l’on peut remonter jusqu’à l’ère Keicho (1596-1615). Il a dit : « Le destin a fait de moi un artiste mais je me suis fait moi-même artiste de l’estampe « .
Tous ses ancêtres ont été peintres depuis le premier Tokuriki, élève de Sansetsu Kano , le fondateur de l’école Kano. « Dans cette longue lignée » dit Tokuriki, « Je suis le premier artiste de l’estampe ».
Mais il pense que son intérêt pour l’estampe vient de son grand-père qui a dessiné 72 estampes de fleurs sans atteindre le succès. « Quand j’étais enfant, j’adorais les regarder, elles furent ma première initiation à l’estampe ». Son grand-père fut ainsi son premier professeur.
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Etudes longues d’art appliqué et découverte de l’estampe Sosaku-hanga
Tomikichiro Tokuriki fait ses études d’art appliqué à Kyoto. Il suit un cycle long de 9 ans dans différentes écoles. Il sort diplômé du Collège d’art de Kyoto en 1923.
Pendant le temps de ses études, il découvre le mouvement Sosaku-Hanga où l’artiste dessine, grave et imprime ses estampes lui-même. Cette découverte n’est pas liée à la nature de ses études mais au développement de ce mouvement né à Tokyo.Il commence à s’intéresser à ce mouvement quand un certain nombre de d’éditeurs et d’artisans s’installent à Kyoto. Ceux-ci fuient Tokyo détruite en grande partie par l’incendie qui a suivi le tremblement de terre de 1923.
Kyoto et la gravure sur bois
A ce moment-là comme il le dit lui-même « l’art de la gravure sur bois est rentré à la maison. »
En effet, les premières gravures sur bois ont été faites à Kyoto et à Nara. Cette technique avait été introduite à partir de la Chine au 8ème siècle par les moines bouddhistes. Ils s’en servaient pour imprimer les textes sacrés du bouddhisme. Elle était encore utilisée à Kyoto pour cet usage au début du 20ème siècle. L’autre application de la gravure sur bois à Kyoto était purement commerciale comme l’impression de papiers d’emballage.
Tokyo, par contre, était la ville où l’art de l’estampe figurative s’était développé.
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De bonnes pratique et de bonnes rencontres
Pour Tomikichiro Tokuriki, l’arrivée de ces émigrants de Tokyo a été le déclencheur de son orientation artistique. Il apprends la gravure et l’impression des estampes. « J’ai trouvé un vieil imprimeur charmant qui avait travaillé dans l’Ukiyo-e. Il avait été imprimeur pour Hiroshige III dans sa jeunesse ». Il s’exerce aussi avec un graveur chevronné.
Cette formation avec des artisans lui inspire tout de suite les bonnes pratiques. Il va chercher ses encres à Nara, capitale de la peinture à l’encre. Dans les ateliers où sont fabriqués les blocs d’encre solide, il achète des copeaux qui proviennent de la taille des blocs à leur sortie du moule. C’est un moyen très bon marché de se procurer les meilleures encres produites au japon. Il imprime aussi sur du papier hosho qui vient d’Echizen, le papier idéal pour l’estampe japonaise.
L’artiste Unichi Hiratsuka, un des pères du Sosaku-hanga vient alors à Kyoto donner un cours pour faire connaitre la doctrine de ce mouvement. Tokuriki se rapproche de lui. Cette relation lui sert d’introduction auprès des artistes de Tokyo.
Un peu plus tard, Il rejoint la Hanga Association et rencontre d’autres artistes du Sosaku-hanga comme Masao Maeda, Kihachiro Shimozawa, Hide Kawanishi et Shiko Munakata. Il participe alors comme rédacteur à la revue Han.
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Passion du Sosaku-hanga contre succès du shin-Hanga
Il dessine donc, grave et imprime ses estampes selon les préceptes du mouvement Sosaku-Hanga. Mais ce style de production aux lignes plus libres et plus modernes que le Shin-hanga est apprécié plutôt par les connaisseurs que par le grand public, surtout en occident. Tokuriki débute alors une production d’estampes Shin-Hanga qui va enflammer amateurs et collectionneurs et faire son succès. Pourtant il n’abandonnera jamais le Sosaku-hanga.
Tokuriki Tomikichiro - Estampe Sosaku-hanga - Gravée et imprimée par l'artiste, édition limitée et signée , Pluie d'automne, 1977
Tokuriki Tomikichiro a ainsi deux productions distinctes :
– Des estampes sosaku-hanga qu’il dessine, grave et imprime avec passion :
Après la deuxième guerre, il crée Matsukyu, sa propre maison d’édition. Cette partie de sa création un moyen de conserver son intégrité d’artiste et une façon de continuer la lutte pour revitaliser l’art de l’estampe à Kyoto.
Le LACMA, Los Angeles County Museum of Art, entre autres musées, possède des estampes Sosaku-hanga de Tokuriki.
– Des estampes Shin-hanga dont il ne réalise que le dessin :
Un graveur et un imprimeur s’occupent de la production, un éditeur les commercialise. Celles-ci se distinguent par un dessin ferme dans la tradition du paysage japonais et des couleurs proches de la gamme du pastel.
Il est publié par les éditeurs les plus célèbres de Kyoto : Uchida et Unsodo. Ce sont celles qui ont fait son succès et lui assurent des moyens d’existence.
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Il collectionne et voyage…
Il a été aussi un grand collectionneur d’estampes Ukiyo-e et a beaucoup voyagé aux USA et en Europe. Dans les années soixante, il expose dans de grandes villes américaines comme Chicago, New York, Pittsburgh ou Cleveland.
…mais aussi sert du thé et enseigne son art.
Tokuriki Tomikichiro a passé une grande partie de sa vie à Kyoto dans une maison âgée de 200 ans, entourée d’un grand jardin planté de cerisiers et située près du Palais impérial. Pour s’assurer un revenu stable, il ouvre un salon de thé dans une petite boutique en face de sa propriété. Il y a aussi installé son atelier, lieu de travail et d’enseignement. Ses étudiants viennent du Japon et de l’étranger. David Stones, par exemple, a quitté la Grande-Bretagne en 1971 pour étudier avec lui et s’installer au Japon.
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Tomikichiro Tokuriki a regretté parfois d’avoir été plus apprécié pour son travail dans l’estampe Shin-hanga nécessitant la collaboration du trio graveur, imprimeur, éditeur. Les estampes Sosaku-hanga qu’il a réalisées seul ont été moins bien comprises par le public. Pourtant elles sont empreintes d’une énergie plus saisissante . Par son travail dans cette voie, il incarne la rupture entre Tokyo et Kyoto dans l’art de l’estampe. (voir article à ce sujet)
Comme beaucoup d’artistes de l’estampe, il a dessiné des séries :
- 36 vues du Mont Fuji
- « Seichi shiseki meisho » Lieux sacrés, historiques ou célèbres (50 estampes)(2 éditions : 1941 et 1950)
- « Kyoto Hakkei » 8 vues de Kyoto
- « Kyoraku Sanju Dai » 30 vues de Kyoto
- 12 mois à Kyoto
- 8 vues du Japon
- « Hanga Kyoraku Niju-Kei » 20 vues de Kyoto
- « Kyoraku Jyugo-Kei » 15 vues de Kyoto
Deux ouvrages qui parlent de Tomikichiro Tokuriki :
* Helen Merritt and Nanako Yamada, « Guide to Modern Japanese Woodblock Prints: 1900-1975 », publié par University of Hawaii Press, Honolulu, ISBN 0-8248-1732-X
* Oliver Statler, « Modern Japanese Prints: An Art Reborn », C. Tuttle, Tokyo, 1956, ISBN No. is 0-8048-0406-0